Illustrations : © -Z- / débatunisie.com
Lorsqu’on tape les mots « Révolution » et « Tunisie » sur le moteur de recherche « Google », tout de suite s’affiche sur l’écran une multitude de pages mentionnant le rôle des blogueurs (« tn-blogs.com » et Cie.) et des cyberdissidents tunisiens dans la révolution de la dignité. Et si Slim Amamou (@Slim404), Lina Ben Mhenni (« A Tunisian Girl /بنيّة تونسية »), Sami Ben Gharbia (co-fondateur de Nawaat), Azyz Amami (@Azzyoz), Sofiane Chourabi, Yassine Ayari, Emna Ben Jemaa (Emma Benji), Haythem Mekki (ByLasKo) accaparent les premières pages web de notre recherche sur « Google » et la « Une » des médias internationaux, d’autres blogueurs à l’image de Houssein Ben-Ameur (le cerveau qui était aux commandes de l’agrégateur des blogs tunisiens, tn-blogs.com), Riadh Guerfali (Astrubal, l’un des cofondateurs du blog collectif « Nawaat »), Malek Khadhraoui (Nawaat), Houaida Anouar, Lilia Weslaty (@Liliopatra), Amira Yahyaoui (@Mira404, fille du juge Mokhtar Yahoui), le caricaturiste « -Z- » (débatunisie.com), Tarek Kahlaoui et Fatma Arabica (la première victime de torture policière parmi les blogueurs tunisiens-NDLR) étaient aussi des acteurs très actifs pour ne pas dire les cerveaux de ce mouvement anti-censure. Certes des tonnes d’articles et d’émissions télévisées et radiophoniques ont traité le thème de la révolution 2.0, parfois de manière très superficielle à la limite du folklorique, mais sans trop enter dans les détails. Un an après, La Presse a voulu percer les mystères de cet univers binaire. Et les révélations ne sont pas faits attendre. Enquête !
Par Abdel Aziz HALI
L’opération « Nhar 3la 3ammar » (Sale journée pour Ammar !)
D’après Slim Amamou, tout a commencé en 2010 quand Amine Kouchlef exaspéré par la censure sur la Toile tunisienne posta une photo sur facebook dénonçant l’excès de censure dans nos contrées avec une pancarte où était écrit : « Sayeb Salah », cette photo déclencha un Tsunami de dénonciation dans laquelle les internautes ont fait appel à leur créativité pour interpeler et stigmatiser « 3ammar » (Ammar).
« Il faut dire que le signe de protestation d’Amine Kochlef arrive suite à un mouvement de grève qui a été déclenché en 2010 par les agents de l’ATI [1], l’info a été vite propagé sur Twitter : Les agents de 3ammar (ATI) sont aujourd’hui le 29 /4 en grève à l’appel de leur syndicat, je ne blague pas c’est du sérieux. ». Face à cette réalité, j’ai préparé une pancarte où j’ai écrit : » < /CENSURE>… A3tihom ach y7ebbou (donne-leur ce qu’ils veulent) »… Hélas, je suis arrivé top tard devant le siège de l’ATI car la grève a pris congé. Mais j’ai quand même pris une photo avec ma pancarte devant le siège de 3ammar, ensuite je l’ai posté sur internet. Depuis, tout le monde a suivi le mouvement dénonçant l’absurdité de la censure de l’internet par 3ammar et Cie ». Il renchérit : « suite à ce mouvement, Amira Yahyaoui m’a téléphoné un jour pour organiser la manifestation du 22 mai 2010 « Nhar 3la 3ammar ».», raconte Slim Amamou.
Or, selon Azyz Amami, activiste pour la liberté de l’expression et membre de l’opération « Nhar 3la 3ammar », l’idée de cette manifestation est celle de Lilia Weslaty alias « Li Liopatra », journaliste et rédactrice en chef du site nawaat.
« Au départ, ils étaient trois derrière l’idée d’organiser cette manifestation : Lilia Weslaty, Tarek Kahlaoui à l’époque il vivait aux USA et Amira Yahyaoui. Quant à moi, j’ai été contacté par Sofiane Chourabi pour rejoindre le mouvement. Rapidement, un groupe Google a été ouvert pour préparer la logistique de la manif. Sofiane et moi, nous avons été chargés pour s’occuper du volet terrain, c’est-à-dire de la logistique et de la propagande. D’ailleurs, j’ai assuré toute la logistique de la manif vu mon expérience dans ce domaine : les schémas, le plan A, le plan B, etc. Je n’ai jamais cru au pouvoir du virtuel et d’Internet. Quant à Slim et Yassine Ayari, ils ont été désignés pour aviser les autorités de la tenue de la manif vu qu’ils étaient des parfaits inconnus auprès de la Police. », fait savoir Azyz Amami. « On savait tous que manifester était un droit constitutionnel. Ainsi deux semaines avant la tenue de la manif. Avant d’aller au ministère de l’intérieur, on s’est filmés. Cette vidéo était la preuve qu’on était sains et saufs avant notre entrée au ministère de l’Intérieur. Mais dès notre arrivée, personne ne nous a pris au sérieux. Les policiers nous ont considérés comme des jeunes irresponsables. D’ailleurs c’était la première fois qu’un citoyen tunisien se pointer au ministère de l’intérieur pour les aviser de l’organisation d’une manif. Avant nous, ils n’y avaient dans tout le pays que l’Ugtt [2] et le RCD [3] qui organisaient des manifestations. Ensuite, on a posté une seconde vidéo qui a fait de nous des stars du web. Parallèlement, nous avons prévu avec cette manifestation un événement parallèle piloté par Houwaida Anouar. Les participants étaient appelés à porter de T-Shirt blancs avec l’inscription « 404 not found »», ajoute Slim Amamou.
Avec le refus du ministère de l’Intérieur, du Gouvernorat de Tunis ainsi de la direction de sûreté de Tunis de donner leur accord pour l’organisation de la manifestation, toujours selon Slim Amamou, Mokhtar Yahyaoui, le père d’Amira, les a conseillé de trouver un huissier-notaire pour les accompagner au ministère de l’intérieur, au siège du Gouvernorat de Tunis et à la direction de la sûreté de Tunis afin de mentionner le refus du bureau d’ordre de leur donner un accusé de réception, Slim et Yassine ont fini par envoyer des courriers recommandées aux trois destinations, une idée de Issam Chebbi, frère de Ahmed Néjib Chebbi-PDP (Parti « Al-Jomhouri », depuis 2012-NDLR).
Zéro coordination entre les différents services de la police nationale
Mais le 21 mai 2011, à j-1 de la manifestation, Slim se souvient de l’ambiance qui était très électrique ce jour-là :
« Le café qui se trouve en face Ministère de l’Intérieur était rempli de 7noucha (serpents, en référence aux policiers civils dans le jargon des jeunes-Ndlr.). Vers midi, Yassine et moi nous avons été arrêtés par la police. Je fus emmené au commissariat de la cité Ennasr, tandis que Yassine a été inculpé au commissariat du quartier Lafayette. A cet instant nous déclenchâmes l’alerte via nos portables. Certes, nous n’avons pas subi des agressions physiques mais plutôt des harcèlements psychologiques avec un traitement VIP. Ils ont photographiés nos affaires. Et lors des 12 heures de séquestration au commissariat où j’ai eu à remplir un long formulaire et à répondre aux questions du commissaire de Bab Bhar qui est venu spécialement pour m’interroger. Constatations : Primo, contrairement à la réputation mythique des superflics de Ben Ali, il y avait une absence totale de coordination entre les différents services, cela était palpable dans les questions posées lors de l’entretien. Secundo, les policiers ignoraient tout sur Internet et les TIC. Ils ne savaient même pas comment une vidéo postée sur Internet pouvait être interceptée par d’autres personnes. Ils étaient totalement à côté de la plaque en ce qui concerne l’esprit du partage sur Internet et « Peer to Peer » (P2P, le pair à pair en français) est un modèle de réseau informatique proche du modèle client-serveur mais où chaque client est aussi un serveur. Le pair à pair peut être centralisé (les connexions passant par un serveur intermédiaire) ou décentralisé (les connexions se faisant indirectement).«
Il renchérit:
«Il peut servir au partage des fichiers en pair à pair, au calcul scientifique ou à la communication – Ndlr).Tertio, selon les dires du commissaire qui a conduit l’interrogatoire, ce jour-là, son téléphone a explosé. J’ai réalisé que plusieurs personnes étaient derrière moi pour me couvrir les arrières. D’ailleurs les enquêteurs étaient effrayés que 22 mille internautes aient affirmé sur la page de l’événement sur facebook leur intention pour participer à la manifestation de « Nhar 3la 3ammar ».
Vers 1h00 du matin, le 22 mai 2011, Slim Amamou a été conduit au centre culturel de Menzah 6 où le directeur des lieux, un RCDiste les a accueillis avec des boissons gazeux et de la baklawa (gâteaux traditionnels tunisiens). Et Slim était appelé à enregistrer une vidéo pour annoncer le report de la manifestation pour une date ultérieure. A 2h00 du matin, Slim a été ramené au commissariat d’Ennasr afin de signer un engagement pour ne plus appeler à des manifestations.
« C’était un papier qui n’avait pas de sens tant que le droit de manifester était un droit mentionné dans notre ancienne Constitution. Alors, j’ai signé sans hésitation, surtout que j’étais très fatigué. », fait-il savoir.
Parallèlement, Yassine Ayari a été appelé a poster un statut sur son profil Facebook annonçant l’annulation de la manifestation et à signer le même engagement.
De son côté Emna Ben Jemaa, journaliste et professeure universitaire, nous raconte l’épisode de son arrestation :
« J’ai su par le biais de Facebook qu’une manifestation se préparait pour condamner le censure. Le Jeudi 19 mai 2010, je suis allé à l’imprimante de la rue de Marseille au centre-ville pour ramener mon T-shirts blanc et celui de Faten Abdelkefi qui ont déjà payés par Faten. A 14h00 pile, j’arrive à la boutique pour récupérer les deux T-shirts. Et dès mon arrivée j’ai été accueillie par un policier en civile qui m’a demandé de lui donner mon GSM et ma carte d’identité. Ensuite 3 autres policiers nous ont rejoins dans la boutique. Entourée par 4 policiers, j’ai été conduite au commissariat du District de Bab Bhar. Et j’ai subi un interrogatoire très acharné où le commissaire chargé de l’interrogatoire, le chef du District de Bab Bhar n’a cessé de m’intimider en m’accusant de préparer un complot. En scrutant la liste d’appels de mon GSM, il a trouvé que j’ai passé un coup de fil à mon amie Lina Ben Mhenni. Il a cherché à savoir quels liens j’avais avec Lina. J’ai répondu qu’elle était une simple amie ni plus ni moins. Et il a commencé à m’insulter et m’humilier par des propos vulgaires et dégradants. ».
Elle continue :
« Ensuite j’ai été transférée dans une autre pièce. A ce moment-là, j’ai réalisé que j’étais dans la m… totale, car personne ne savait que j’étais arrêtée. Certes, le deuxième policier un certain Issam (un ancien de l’ESC Sfax) était plus clément que son précédent. Au moment du déjeuner, ils m’ont ramené du chocolat au lieu d’un sandwich et un café direct. D’ailleurs j’étais contrainte de cacher la carte mémoire de mon appareil photo dans mes vêtements intimes car j’avais peur qu’ils puissent s’emparer de mes photos personnelles. Car tout le monde savait comment la police à l’époque de Ben Ali truquait les photos des opposants et les postait sur internet pour les salir. Après 7 heures de détentions, j’ai quitté le commissariat à 21h00. Et les jours d’après je me suis sentie seule au monde sans aucun soutien car nous les blogueurs, nous n’avions pas l’immunité des politiciens opposants. Et j’avais dans l’esprit le cas de Taoufik Ben Brik qui n’avait pas trouvé de soutien. Mais quelque jours après, j’ai eu le courage d’écrire un billet sur mon Blog intitulé : « Suite à mon arrestation : une explication s’impose ». Et depuis jusqu’à la chute de Ben Ali, j’ai fait tout mon possible pour sensibiliser mes étudiants à l’université privée où je donnais des cours, en éveillant leur conscience citoyenne sur ce qui se passait dans le pays. »
L’ATI prise la main dans le sac
Après le 22 mai 2011, le réseau qui a préparé l’opération « Nhar 3la 3ammar » n’a pas cessé d’exister au contraire comme l’atteste Slim Amamou :
« Certes après la signature de l’engagement bidon, mon Blog « No memory space » a été censuré, et malgré les intimidations de la police et leurs avertissements pour ne pas divulguer ce qui s’est passé vraiment, j’ai posté une vidéo intitulée « Spécial dédiasse lilhakem (la police dans l’argot tunisien) » où j’ai tout balancé en racontant ce qui m’est arrivé durant ces 12 h de séquestration. Même j’ai fait passer un message à un des policiers qui était très cool avec moi. Depuis, j’ai réalisé qu’il y avait toute une communauté derrière nous et je pense que notre arrestation était le signal qui a mis à nu la fragilité du système et du régime. ».
Il ajoute :
« Depuis on a enchaîné les réunions et les flash-mobs (mobilisations éclairs). L’une de nos actions-phares était l’envoie d’une cinquantaine de lettres pour contester la censure à destination des députés du parlement tunisien ainsi que des communiqués de presse aux journaux tunisiens. »
Il continue :
« Mais à la surprise générale, notre ami Malek Khadhraoui (Nawaat), qui a adressé une lettre au président de l’Assemblée nationale de l’époque, M. Foued Mbazaâ, a reçu une réponse en provenance de l’ATI. Il s’est avéré que Fouad Mbazaâ a transféré la lettre au ministère des Communications qui, par le biais de Moez Chakchouk, a été transféré à l’ATI. Cette dernière était contrainte de donner une réponse à la lettre de Malek. Grâce à cette lettre, on avait désormais la preuve tangible que l’ATI était derrière la censure d’Internet en Tunisie. ».
Face à ce rush de témoignages et de récits, on se pose les questions suivantes : est-il possible que de simple geeks ou internautes tunisiens puissent organiser spontanément tout un mouvement aux allures d’un réseau avec des blogueurs chargés du la logistique et de la propagande (Azyz Amami et Soufiane Chourabi), des éclaireurs à l’image de sentinelles (Slim Amamou et Yassine Ayari), des blogueurs suiveurs (Hana Trabelsi, Lilia Weslaty, Tarek Kahlaoui, Emna Ben Jemaa, Lina Ben Mhenni, Malek Khadhraoui, etc.), un plan A (la manif « Nhar 3la 3ammar ») et un plan B « le rassemblement en T-Shirt Blancs » pour prendre un café à l’avenue Habib Bourguiba ?
Sans preuves à l’appui, ça serait invraisemblable de privilégier la théorie du complot ou bien de faire planer l’ombre de « Freedom Dar » ou « Freedom machin » comme l’a mentionné Yassine Ayari dans son blog « Mel7it3.blogspot.com » dans son article : « Les cons, et les autres, histoire de blogueurs à 2 clics ! » (Publié le jeudi 17 novembre 2011). À défauts de pistes concrètes menant vers cette hypothèse abracadabrante, seul le futur nous dira à qui profitait le « crime »…
Des blogueurs colporteurs d’informations à l’aide de clefs USB
À partir du 18 décembre et suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi, les vidéos en provenance de Sidi Bouzid, Tala et Kasserine pullulaient sur facebook. Ainsi, Azyz Amami qui est originaire de Menzel Bouzaïen dans le gouvernorat de Sidi Bouzid s’est déplacé dans la région pour briser le silence et le blocus médiatique qui pensaient sur la région. Idem pour Lina Ben Mhenni qui s’est déplacée à Sidi Bouzid, à Kasserine et à Tala moult fois. Selon Slim Amamou :
» Au début le régime a verrouillé Internet sur la région pour ne pas laisser filtrer les informations concernant les heurts. Seules les clefs 3G+ « Orange» étaient opérationnels, mais après quelques jours c’était le blackout total. Ainsi, Azyz Amami qui a fait beaucoup du terrain, s’est déplacé sur les lieux pour ramener les vidéos sur des clefs USB (flash disk). »
Parallèlement, selon Sami Ben Gharbia, co-fondateur de Nawaat et Director advocacy chez Global Voices (un réseau mondial de blogueurs qui sélectionnent, traduisent et publient des revues de blogs en 18 langues) :
« Durant cette période, chez Global Voices, on traitait toute les vidéos qui venaient en provenance de Sidi Bouzid et de Kasserine pour les véhiculer par la suite sur Al Jazeera qui commençait à s’intéresser sur ce qui se passait en Tunisie. »
L’UGTT, une organisatrice de manifs, malgré elle
Parallèlement, entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, une multitude de messages ont animé la plateforme du micro-blogging « Twitter ». Par exemple sur le compte de « Slim404 » et sur d’autres comptes de blogueurs tunisiens, on pouvait lire des messages tel que :
« Aujourd’hui, à 11h, place de Mohammed Ali, à Tunis. Ensemble pour Sidi Bouzid », « J’ai besoin d’un binôme. Qui d’autre va ? », « A partir de maintenant et jusqu’à la fin de la manif, je serai joignable au […] », « Anonymous a décidé de pirater les sites du gouvernement. Ils ont besoin de vous pour identifier des cibles. Rejoignez-les. » Etc… Des messages qui reflétaient le degré de tension dans le pays. Au cours de cette enquête dont la finalité n’était autre que de cerner le rôle des blogueurs tunisiens au cours de la révolution tunisienne, on est tombé sur une information consternante.
Selon Slim Amamou, les manifestations du 25 et du 27 décembre 2010, qui se sont déroulées Place Mohammed Ali devant le siège de l’Ugtt*, n’étaient pas organisées par la centrale syndicale du pays. En effet, ce sont deux blogueurs tunisiens Azyz Amami et Sofiane Chourabi qui étaient derrière ces deux manifestations, sachant que celle du 27 décembre 2010 a réuni plus de 2000 manifestants selon une dépêche de la TAP. Toujours selon Slim Amamou, les deux Blogueurs ont fait croire, via deux communiqués déguisés par le biais de Photoshop, que le bureau central de l’Ugtt appelle à la tenue des deux manifs. Cette information a été confirmée par deux syndicalistes de l’Ugtt sous le couvert de l’anonymat et par Azyz et S. Chourabi.
Ce dernier a ajouté :
« A cette époque, on a lu sur Facebook des communiqués des centrales de base (régionales) de l’Ugtt qui appelaient pour soutenir la région de Sidi Bouzid. Or Azyz et moi, nous avons sauté sur l’occasion, et nous avons fait savoir sur Facebook, via deux communiqués, que le Bureau exécutif de l’Ugtt appelait pour la tenue des deux manifestations alors que ce n’était pas le cas en réalité. ».
Il renchérit :
« L’idée de cette astuce était de faire participer le maximum de manifestants. Et notre pari a été gagné ! D’ailleurs la réunion pour préparer ce plan s’est déroulée dans mon domicile.»
D’autre part, selon plusieurs sources, les membres du bureau exécutif n’étaient pas tous d’accord pour rejoindre les foules postées devant le siège de l’Ugtt.
Sur ce volet, Azyz Amami ajoute :
« Toutefois, il faut rendre à César ce qui appartient à César. Contrairement à ce qu’on dit sur M. Abid Briki, ex-secrétaire général adjoint de l’Ugtt (Ndlr), ce dernier était parmi les premiers des hauts responsables à rallier les manifestants et à donner une légitimité à nos 2 initiatives. Il savait que c’était un coup monté de toutes pièces malgré ça il a joué le jeu. Je salue son patriotisme ! ». Mais la question se pose aujourd’hui : les hauts responsables de l’Ugtt avaient-ils le choix ?
Sur les traces de Slim Amamou grâce à Latitude Google
Le jeudi 6 janvier 2011, Slim Amamou et Azyz Amami ont été kidnappés au sens vrai du terme par des policiers. Selon Slim :
« J’ai été arrêté vers 14h00. Et vers 18h00, j’ai pu révéler la position de mon GSM sur le réseau social Foursquare.com en utilisant « Latitude Google ». Ce dernier permet à ses utilisateurs de signaler leur position par géolocalisation. ». La position du téléphone de Slim indiqua ce jour-là qu’il se trouvait dans les locaux du ministère de l’intérieur sur l’avenue Habib Bourguiba. S. Amamou ajoute : « Depuis la veille (mercredi 5 janvier,) j’avais prévenu mes amis que mon domicile était surveillé par des policiers et que ce matin Haythem m’a envoyé un SMS pour m’annoncer la visite de la Police chez lui. D’autre part, plusieurs coups de fils anonymes sont parvenus à mon lieu de travail. ».
Concernant les circonstances de son arrestation, Slim nous raconte :
« L’interrogatoire a duré cinq jours dans les geôles du ministère de l’intérieur et j’étais à une chaise métallique. Je n’ai pas pu dormir durant 4 jours, les conditions de détention étaient lamentables sur fond de torture psychologique sans cesse du genre « on va vous violer » etc. Ensuite, nous avons été transférés moi et Azyz à la prison de la Mornaguia où on a été traité comme des détenus VIP. Le 13 janvier 2011, le directeur de la prison nous a convoqués dans son bureau pour suivre le dernier discours de Ben Ali et il nous a dit : « Peut-être il va y avoir de bonnes nouvelles pour vous ». Mais avant que Ben Ali ne prononce son discours, on a reçu un coup de fil de son gendre Marwane Ben Mabrouk qui nous a donné un avant-goût du discours : Internet ne sera plus censurée, le droit de manifester ne sera plus bafoué, pas de candidature en 2014 de Ben Ali et qu’on allait être relâché ce jour-là. En contre partie, il fallait calmer le jeu dès notre sortie. Et il a répété « Le pays est en train d’être brûlé ». A 20H00, nous avons été libérés. Mais à mon avis le faite qu’on n’ait pas été agressé physiquement et relâché prouvait que le régime de Ben Ali a subi une grande pression de l’extérieur genre Reporter sans Frontières (RSF) etc.».
Le 17 janvier 2011, Slim Amamou reçoit un coup de fil du Premier ministère qui lui a proposé le poste de secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports.
« J’ai tout de suite accepté la mission car je voulais suivre de l’intérieur le travail du gouvernement et m’assurer que les objectifs de la révolution allaient se réaliser et que ce gouvernement allait préparer le terrain pour organiser des élections transparentes dans les délais. ».
Quant à Emna Ben Jemma alias Emma Benji, elle est devenue la conseillère Internet du gouvernement Ghannouchi II, pendant un mois où elle a joué la médiation entre ce qui se passait sur la toile et surtout sur Twitter et Facebook et le Palais de Carthage qui est devenu le siège du gouvernorat avec les mouvements de Kasbah I et II.
Décidément, tout se paye dans ce monde. Rien n’est gratuit ! Excepté la grâce du bon Dieu.
Assurément, le rôle de la Blogosphère tunisienne dans la révolution de la dignité n’a rien d’anodin, tout porte à croire qu’il s’est agi d’une composante parmi d’autres qui ont fait que le régime de Ben Ali et sa bande de mafieux soient démantelés. En attendant d’éventuelles révélations sur le rôle des blogueurs tunisiens dans le déclenchement du printemps arabe, apprécions ce vieux dicton de Confucius:
« Prendre conscience, c’est transformer le voile qui recouvre la lumière en miroir ».
A.A.H.
— Article publié durant le mois de janvier 2012 dans le Hors-Série de La Presse N° 1: « Le film de la Révolution » (un numéro spécial qui a célébré une année de révolution)
*L’emploi de l’infinitif du verbe « tuer » dans le titre au lieu du participe passé « tué » est un clin d’œil qui renvoie à l’affaire « Omar Raddad »: une affaire criminelle très médiatisée portant sur le meurtre de Ghislaine Marchal en 1991 sur les hauteurs de Mougins en France , meurtre dont Omar Raddad, jardinier employé à cette époque par la victime, a été reconnu coupable par la justice, bien qu’il n’ait jamais cessé de clamer son innocence. Défendu par Me Jacques Vergès, Omar Raddad est condamné en 1994 à dix-huit ans de réclusion, mais bénéficie d’une réduction de peine à la suite d’une grâce partielle en 1998. La célèbre inscription en lettres de sang : « Omar m’a tuer » (sic), présente sur la scène du crime, reste l’aspect le plus célèbre de cette affaire des plus marquantes de la société française des années 1990.
[1] ATI : Agence tunisienne d’Internet
[2] UGTT : Union générale tunisienne du travail
[3] RCD : Rassemblement constitutionnel démocratique, l’ancien parti au pouvoir, fondé le 27 février 1988 par le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali